Séjourner dans un hôtel historique c’est comme dormir dans un musée où les objets d’époque font partie de notre quotidien. Dès le pas de la porte, on se sent comme dans un film ! Au détour d’un couloir, d’une salle de bal ou d’une chambre luxueuse, on croirait presque apercevoir une tête couronnée, une célébrité ou un acteur de cinéma. Nombre d’hôtels ont d’ailleurs servi de décor. Loin d’être poussiéreux, les hôtels historiques du canton de Vaud savent allier leur passé glorieux avec les infrastructures et services les plus modernes.
Elégants, cosy, paisibles et somptueux : chaque hôtel historique du canton de Vaud reflète encore actuellement l’époque à laquelle il a été bâti et conserve ainsi une ambiance qui lui est propre. Que l’on souhaite retrouver une atmosphère de roman, se faire bichonner en famille ou vivre le faste des palaces rendu célèbre par les nobles du 20e siècle, dormir à l’hôtel devient une véritable expérience.
De l’Hôtel Masson – plus ancienne pension de famille encore ouverte – au Montreux Palace – fleuron de la Belle Epoque – l’historienne, archiviste et experte en histoire hôtelière suisse Evelyne Lüthi-Graf nous fait l’honneur de jouer les guides première classe : « Les hôtels historiques ont de plus en plus de succès parce qu’on revient à la source, on vient voir comment c’était avant. Aujourd’hui, en Suisse, on ne fait presque plus de « faux vieux ». Les touristes nous parlent parfois de « décors », mais ce ne sont pas des décors ! »
Ce sont donc de véritables histoires que nous vous racontons au fil de ces quatre hôtels représentatifs des débuts du tourisme dans le canton de Vaud. De quoi alimenter votre imaginaire lors d’un prochain passage dans l’un de ces établissements emblématiques, sur les traces de bâtisseurs visionnaires et d’hôtes illustres.
Evelyne nous parle de la Belle Époque
Rendu célèbre grâce au poète Lord Byron, le château de Chillon™ attire des touristes dès la publication du poème « Le prisonnier de Chillon » en 1816. A cette époque, l’infrastructure hôtelière était encore quasiment inexistante et les visiteurs logeaient dans la maison d’ecclésiastiques, de paysans, mais surtout de vignerons, car on était alors sûr que son hôte pourrait servir un verre de vin. C’était le cas de Jean François Masson, vigneron-cultivateur de Veytaux, à un saut de puce du château de Chillon™, qui accueillit rapidement des voyageurs dans sa maison construite en 1829. Plus de 25 ans plus tard, sa fille Elise reprit la gestion de la pension et l’agrandit en y ajoutant des balcons avec la vue sur le lac Léman.
Tel qu’on le connaît aujourd’hui, l’Hôtel Masson garde les traces des différentes périodes de son histoire : « On retrouve du mobilier daté de 180 ans avec des objets contemporains tels que certaines lampes. Les salles de bain refaites dans les années 70 témoignent elles aussi d’une histoire. » Evelyne Lüthi-Graf ne cache pas son attachement pour les lieux : « On a l’impression de se trouver dans un film. L’Hôtel Masson est un hôtel de famille, fait pour passer des vacances avec les siens dans un environnement cosy, agréable, pas du tout anonyme. Ici, les propriétaires vous connaissent, ils sont là avec leurs enfants. »
Inauguré à Vevey en 1842, l’Hôtel des Trois Couronnes est l’un des plus anciens Grands Hôtels de Suisse où l’on peut encore séjourner aujourd’hui. Contrairement à Montreux, Vevey est à cette époque une ville aux commerces florissants. On y trouve donc déjà des auberges pour accueillir les voyageurs de commerce.
« L’Hôtel des Trois Couronnes est un bâtiment en ville, transformé en hôtel par une famille qui comprend que les aspirations des voyageurs dépassent l’offre d’une auberge, nous explique Evelyne Lüthi-Graf. Sur un bâtiment existant, ils construisent un grand hôtel d’après un modèle ancien, très classique. Il est l’un des seuls à avoir encore cet atrium avec un puits de lumière. L’Hôtel des Trois Couronnes est construit en partie sur un mur de la ville, un mur médiéval. Les quais Perdonnet et Maria Belgia sont faux. La vraie limite de la ville est toujours visible dans le spa du cinq-étoiles. »
Evelyne nous parle des hôtels historiques et de leurs clientèles
Hormis les commerçants, les seules personnes ayant les moyens de voyager au milieu du 19e siècle sont les aristocrates. L’Hôtel des Trois Couronnes est pensé pour leur plaire, dans un style très chic et distingué. « L’Hôtel des Trois Couronnes a cet héritage de la maison particulière qui fait qu’on se sent chez soi. Grâce à ce côté cosy, la veuve du tsar Nicolas I est venue s’y installer pendant plusieurs semaines avec toute sa suite. » Cette atmosphère unique et l’environnement aux accents du 19e siècle perdurent dans l’hôtel aux chambres modernisées.
Souvent citée lorsqu’on remonte le fil de l’histoire du tourisme, la Belle Epoque commence à la fin des années 1880. Elle marque un énorme changement de la société, comme nous l’explique Evelyne Lüthi-Graf : « Tout explose : les moyens technologiques, les voyages, la société, la classe moyenne qui se fait de l’argent avec le sucre, les chemins de fer… Une tout autre société va se mettre à voyager, une société qui a de l’argent, des moyens, qui veut montrer ce qu’elle a. L’aristocratie voyage depuis toujours, pour elle ce n’est pas nouveau et au début ça la gêne d’être mélangée avec les voyageurs de commerce, les bourgeois, etc. L’hôtelier doit faire en conséquence, il doit s’adapter. »
La période est aussi marquée par le fléau de la tuberculose. Les touristes affluent en Suisse, pays où l’on vient déjà pour sa santé. Le besoin de grand air est plus fort que jamais… C’est dans ce contexte qu’Edouard Baierlé, hôtelier à Yverdon-les-Bains, s’intéresse à la proche station des Rasses. « Baierlé voit comment ça évolue, il voit que les gens veulent de plus en plus aller à la montagne. »
De configuration classique, le Grand Hôtel des Rasses ouvre en 1898. Aussi bien conçu qu’un hôtel de plaine, il est alors le parfait compromis entre le grand hôtel et l’auberge de montagne. Une annexe plus moderne est ajoutée en 1913. Très appliqués à préserver le caractère historique de l’hôtel trois-étoiles, les propriétaires actuels valorisent un mobilier d’époque, pour une expérience hors du temps. Encore aujourd’hui, les visiteurs du Grand Hôtel des Rasses ont les mêmes aspirations que jadis : passer un moment de tranquillité, en famille, en altitude et au grand air.
Le Montreux Palace est construit alors que la région est en pleine effervescence touristique, galvanisée par les séjours des bourgeois enrichis grâce aux nouvelles industries. « On voyage pour voir du pays, mais on voyage surtout pour voir d'autres personnes qui ont le même statut que soi. C’est pourquoi on édite un « journal des hôtes » dans lequel les hôtels publient leur liste de clients ! »
S’adaptant encore une fois à leurs clients, les hôteliers comprennent la nécessité de proposer des lieux de rencontre. « Les gens circulaient dans le hall du Montreux Palace, le bar était visible et le palace était lié à toutes les activités extérieures et intérieures : restaurants, salle des fêtes, etc. C’est ça le Montreux Palace : l’hôtel luxueux où vous ne restez pas toute la journée dans votre chambre. »
Evelyne nous parle d'Eugène Jost
On doit ce fleuron de la Belle Epoque à l’architecte Eugène Jost, que nous présente Evelyne Lüthi-Graf : « Jost apprend son métier à Paris, il est ce qu’on appelle un architecte Beaux-Arts. Au début, l’architecte est un technicien, ce qu’on appellerait aujourd’hui un ingénieur. Puis on se rend compte que la technique et la beauté vont aussi ensemble. Beaucoup d'architectes partent alors faire les Beaux-Arts à Paris. » Mais le Montreux Palace est surtout le fait d’Alexandre Emery, illustre membre d’une dynastie d’hôteliers. « Emeri est à la base de la création d’Hôtellerie Suisse et de l’Office Suisse du Tourisme. Oui, ce sont les hôteliers qui ont fait la Suisse ! En tout cas les régions touristiques comme Lucerne, le Tessin, la Riviera, une partie des vallées valaisannes… On l’oublie… »
En écoutant Evelyne Lüthi-Graf, on ressent en effet une profonde reconnaissance pour tous ces hôteliers visionnaires qui ont tant fait pour le développement de la région : d’Elise Masson à Alexandre Emeri, en passant par Edouard Baierlé. L’experte en histoire hôtelière ne peut que confirmer ce constat : « On leur doit tout, aux hôteliers, on pourrait une fois le dire en grand : merci aux hôteliers, parce que c’est grâce à eux qu’on a l’électricité, l’eau courante, le chemin de fer, tous les trains qui vont sur la montagne… »
Evelyne nous parle des hôteliers
En effet, en 1875, les rives du lac Léman étaient déjà équipées en eau courante, alors que le télégraphe et le réseau de chemin de fer devenaient toujours plus performants. Tout cela on le doit à la construction des hôtels : « La preuve c’est que dans les endroits où il n’y a pas d’hôtels, l’eau courante, l’électricité, le téléphone et le télégraphe sont venus beaucoup plus tard ».
Notre voyage avec Evelyne Lüthi-Graf nous a donné envie de vivre nos propres découvertes. Car les hôtels historiques, ce sont des lieux de vie et d’expériences, avant d’être des témoins de l’histoire. « On va dans un hôtel historique parce qu’on veut vivre une expérience, c’est comme aller voir un film au cinéma. On va dans un hôtel historique parce qu’on a aimé les films historiques et parce que là on peut vivre, dormir, manger dans un hôtel qui est un décor pour un film. Parce qu’il a été préservé et on le met en valeur. »
D’ailleurs, n’est-ce pas un énorme défi de préserver ces lieux historiques ? « Le défi pour les propriétaires est d’expliquer que ce n’est pas poussiéreux, c’est comme un musée. Les hôtes acceptent d’être dans un environnement historique, donc qu’il y a des traces sur le parquet, mais ces traces sont comme nos rides. Ici, on vend un hôtel historique, un hôtel qui a 100 ans. On assume son mobilier, mais les matelas sont neufs et tout est propre et nettoyé absolument comme dans les autres hôtels. »
Ils ont tant à offrir, ces hôtels historiques. Le romantique se laissera emporter dans l’ambiance d’un récit d’antan, le curieux pourra apprendre une anecdote derrière chaque objet. Chacun peut faire de son séjour, sa propre histoire.
Connu dans le monde entier comme l’un des emblèmes de notre pays, le chalet suisse a inspiré l’architecture hôtelière dans les Alpes depuis l’avènement du tourisme. Or, l’authenticité du chalet et même son nom sont sujets à controverse ! Le mot « chalet » signifie « abri » et il ne désigne à la base que les constructions hébergeant les paysans sur les alpages en haute altitude. Ces cabanes isolées et entourées de merveilleux paysages alpins ont inspiré de nombreux peintres et écrivains qui faisaient partie des premiers courageux visiteurs des sommets alpins. Leurs œuvres ont participé à la diffusion de l’image d’Epinal du chalet telle qu’on la connaît encore aujourd’hui : un bâtiment de bois plutôt cubique, posé sur un socle de pierre et coiffé d’un toit à deux pans avec si possible quelques menues décorations.
Mais ce sont finalement les Suisses eux-mêmes qui ont propagé l’image rêvée du chalet suisse en tant qu’architecture nationale typique ! Lors de la deuxième exposition nationale à Genève en 1896, un « village suisse » officialise le chalet comme la maison de référence pour la majorité de nos concitoyens. Couronné de succès, le village suisse est immortalisé et fait rapidement le tour du monde. Comme la plaine, la montagne vit à la fin du 19e siècle une explosion du tourisme et de l’arrivée des bourgeois enrichis par les nouvelles technologies de la Belle Epoque. Les hôteliers font tout leur possible pour plaire aux voyageurs et les constructions oscillent entre le style classique qui ne dépayse pas les premiers touristes et le « swiss style » dont ils ont tant entendu parler.
Edifié en 1896 à Leysin, la pension Sylvana a fait son choix, jusqu’à prendre le nom de Grand Chalet en 1992. Authentique ou pas, la tradition du chalet suisse a encore de beaux jours devant elle. Ainsi, lors de sa dernière rénovation complète, le Grand Chalet a retrouvé toute la chaleur du vieux bois, tant dans ses chambres que dans ses espaces communs. Même les nouvelles constructions de standing, telles que l’Hôtel de Rougemont & Spa, allient leurs grands espaces ouverts sur l’extérieur et leurs matières nobles aux codes incontournables du chalet suisse : bois, pierre et surtout atmosphère chaleureuse. Le chalet suisse a ainsi réussi à nous faire oublier son histoire décriée, grâce à son ambiance qui nous transporte directement en vacances !
Enchanteurs, les châteaux médiévaux sont souvent érigés au rang de musée, mais rares sont ceux où il est possible d’y séjourner. C’est le cas du Château d’Ouchy, hôtel quatre-étoiles idéalement situé sur les rives du lac Léman à Lausanne. Qu’on atteigne ce quartier lausannois aux airs de Méditerranée en bateau depuis Vevey ou en voiture, la silhouette du Château d’Ouchy nous accueille avec prestance.
De la bâtisse datée du 12e siècle, le château a gardé son donjon d’origine. Le reste de l’édifice a été rénové entre 1889 et 1893 dans le style néo-gothique. A cette époque, le Beau-Rivage Palace trônait déjà à quelques mètres de là, mais il ne bénéficiait pas encore de toute la grandeur qu’on lui connaît aujourd’hui, puisqu’un deuxième bâtiment est venu s’ajouter en 1908. Pour une véritable expérience médiévale, la Suite Chevalier et la Suite Riviera du Château d’Ouchy traitent leurs hôtes comme des princes et princesses !
Toujours sur des rives lacustres, mais cette fois au bord du lac de Neuchâtel, la ville d’Yverdon-les-Bains est réputée pour sa source d’eau thermale depuis l’époque romaine. En 2000 ans, les constructions s’y sont succédé afin de faire profiter les habitants et les voyageurs des bienfaits de cette eau jaillissant à 29°C. Le Grand Hôtel des Bains est antérieur au centre thermal attenant. La Ville d’Yverdon-les-Bains le construit dès les années 1730, pour répondre à la demande des touristes anglais qui redécouvrent les joies du thermalisme. La splendide rotonde visible encore aujourd’hui date, elle, de la Belle Epoque (1896). En juin 2019, les actuels propriétaires du Grand Hôtel des Bains et du centre thermal ont annoncé une grande rénovation d’une durée de trois ans afin de moderniser les bâtiments, qui restent ouverts tout au long des travaux.
De retour au bord du lac Léman, la brasserie historique La Coupole de l’Hôtel Astra de Vevey mérite également le détour. Datée de 1912, elle est ornée de vitraux et de fresques en l’honneur des dernières Fêtes des Vignerons, une mythique célébration traditionnelle qui se répète quatre fois par siècle !